Trier encore. Et amputer. Réduire l’espace gagné ici par mes livres. Ceux qui se sont accumulés depuis 20 ans en ville. J’ai vidé toutes mes étagères. Exhumé de ces doubles rangées leurs ouvrages inaccessibles et poussiéreux. Rendu à la bibliothèque mon architecture kabbalistique, création harmonique disparue depuis sous d’additives étagères intermédiaires. J’ai épuré, poncé, repeint. Puis remis les livres. Des livres. Juste quelques livres.

Trier encore. D’un coté tous ces livres que je ne peux conserver ici faute de place et de pertinence d’usage. De l’autre ceux dont vraiment je ne pourrais souffrir un éloignement trop douloureux. Deux tas égaux d’un partage inégal. Pourtant plus facile que je ne le redoutais. Trier quatorze cartons de livres qui vont venir s’installer durablement à l’Or de La Forge, dans cet espace préparé pour eux et déjà trop étroit. Heureusement ! Cette bibliothèque du fin fond du Limousin pourra jouir de son embonpoint, de sa surcharge pondérale, de son débordement naturelle, de son trop plein de mots, d’idées et de caractères typographiques. Plein de livres déjà lus et à jamais relus. De livres à peine commencés que condamnés au silence. De livres offerts, trouvés, récupérés, inappropriés et jamais ouverts.

Trier les quelques centaines d’autres conservant leur droit de cité. Les livres phares d’une vie de tempête. Les livres plus sereins d’une existence apaisée. Les livres interpellatifs d’une vie future. De la poésie de combat, de la philosophie d’action, des dictionnaires de mots à ne pas oublier, quelques essais remarquables, de l’art à faire rêver…

Trier encore sans savoir jeter. Ou donner, Ou vendre. Sans savoir s’affranchir ? Mais devient-on plus libre sans cette présence rassurante et continue de tous ces mots lus, bus, dégustés ou non. Ces mots doux ou amers, pleins de force ou de douceur, chargés de sens ou justes d’un peu de lumière ? Ce soir, la bibliothèque me semble triste. Trop bien rangée, trop propre sur elle. Elle ne ressemble pas à l’hétéroclisme de son contenu, elle ne témoigne plus du feu qui couvent entre ces pages. Je me rassure en songeant à la place permettant d’y accueillir derechef quelques centaines de nouvelles perles. Le bonheur ! Le bonheur d’une culture dispersée et immémorées. Une culture si vaine. Si essentielle.